Internet donne des ailes aux infidèles. Sites de rencontres extraconjugales, d’enquêtes privées, d’hôtellerie à la journée et de fabrication d’alibis… Le Web a fait de l’infidélité un nouveau marché !

Rouen. Le lieu de la rencontre paraît tout indiqué pour parler d’infidélité conjugale. C’est dans la ville où Emma Bovary venait tromper son ennui (et son mari) que Virginie (1) a fixé le rendez-vous. D’un pas décidé, elle se dirige vers un bar désert pour parler en toute discrétion de ses aventures extraconjugales sur Internet… C’est une affiche publicitaire aperçue il y a un an dans le métro qui l’a poussée dans les bras de Gleeden. Pour séduire les infidèles, ce site de rencontres extraconjugales lancé en 2009 sait s’y prendre. En témoigne sa dernière campagne d’affichage dans les transports parisiens dégainant les armes marketing de l’humour et de la provocation pour susciter les vocations adultères : « Et si cette année vous trompiez votre amant avec votre mari ? » ; « Être fidèle à deux hommes, c’est être deux fois plus fidèle » ; « Par principe, nous ne proposons pas de carte de fidélité. » Ici, ce n’est pas la ménagère de plus de 50 ans qui est ciblée mais les 35-50 ans, actifs, citadins, CSP+ et en couple bien sûr… Virginie correspond précisément au cœur de cible de ce marché de la tentation en pleine expansion et qui est loin de se limiter aux réseaux de rencontres. « Je ressentais un besoin d’indépendance et d’épicurisme. C’était aussi un moyen de me rassurer sur ma capacité à séduire », confie cette cadre pour qui l’infidélité en ligne offre l’avantage de relations fugaces, sans engagement, moins risquées que l’adultère à l’ancienne. « Je ne voulais pas de relations dans ma sphère proche : amis, collègues de travail… Je n’ai pas envie d’avoir à reconstruire mon couple. Je veux qu’il dure. »

Vincennes. Étienne est fidèle… au rendez-vous. Car, pour le reste, ce n’est pas ce qui le caractérise le mieux. Ce quinquagénaire à l’allure soignée multiplie les relations adultères grâce à Internet. Il estime à 500 euros le budget mensuel de son infidélité (utilisation du site, restaurant, hôtel, petits cadeaux…). Durant la conversation, les SMS incandescents de sa dernière conquête placent son iPhone en état de surchauffe. Il y a trois ans, c’est au travers d’un « reportage au JT » qu’Étienne a découvert ce nouveau mode de rencontres. Depuis, la gloire médiatique de ces sites – particulièrement en période de Saint-Valentin – a donné une certaine légitimité à ce commerce de l’illégitimité. Enfermé dans un mariage insatisfaisant, ce père d’une adolescente y a trouvé le moyen de « combler un manque » : « Je n’ai plus de rapports avec ma femme. On ne vit pas ensemble mais l’un à côté de l’autre. Il s’agit juste de préserver notre fille. » L’an dernier, il a obtenu une dizaine de rendez-vous avec des femmes rencontrées sur Gleeden. Une fois sur deux, l’affaire s’est conclue dans un lit… « C’est ça ou aller voir un psy. Ces sites devraient être remboursés par la Sécurité sociale », plaisante-t-il à moitié.

Les réseaux de rencontres adultères n’en demandent pas tant. Sinon la Sécu ne tiendrait pas le choc. Infidelia.com, entre-infideles.com, 123-infidele.com, rencontresinfideles.com, adultere-rencontre.fr… Les sites spécialisés se comptent désormais par dizaines en France. Les internautes n’ont que l’embarras du choix mais pas toujours un bon retour sur investissement : certaines plateformes utilisent des « animatrices » et des « membres fantômes » pour les pousser à la consommation. Le business model de ces plateformes repose sur la vente de « crédits » aux membres masculins – seuls les hommes paient. Ces messieurs utilisent leur capital pour séduire les dames lors de « chats » et d’échanges sur les messageries privées.

GLEEDEN, MASTODONTE DE L’E-INFIDÉLITÉ

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Avec près de 1,6 million de membres à travers le monde, dont 800 000 dans l’Hexagone, Gleeden se présente comme le numéro un français. L’enseigne à la pomme croquée affiche un chiffre d’affaires de « 15 à 20 millions d’euros » et « dégage des bénéfices » (sans plus de précision). Magie de l’e-économie, une trentaine de salariés suffisent à faire tourner ce site, lancé par deux frères français mais détenu par le groupe américain BlackDivine. Jusque-là en situation dominante sur le marché tricolore, Gleeden a vu récemment débarquer en France le mastodonte de l' »e-infidélité ». Son concurrent canadien AshleyMadison revendique 17 millions de « fidèles » à travers le monde, emploie 150 salariés et annonce un chiffre d’affaires de 90 millions d’euros. Mais, là encore, motus et bouche cousue sur les bénéfices… C’est dans le cerveau de Noel Biderman, le président-fondateur d’AshleyMadison, qu’est né le concept sulfureux d’un site de rencontres destiné aux personnes mariées ou en couple. A force de défendre des célébrités prises les doigts dans le pot de confiture, cet avocat canadien a fini par se convaincre du fort potentiel commercial d’une infidélité en ligne clairement affichée : « Tout le monde à l’époque ignorait l’importance de ce marché », rappelle-t-il, un brin irrité par les « imposteurs » qui se sont engouffrés dans la brèche.

Après onze ans de bons et (dé)loyaux services, le « roi de l’infidélité », comme le surnomment les médias américains, vient donc d’ajouter un vingt-cinquième pays à son tableau de chasse : la France, cette patrie supposée du libertinage où même les présidents montrent l’exemple. La version française du site a enregistré 200 000 inscriptions en seulement six mois d’activité. Gourmand, le leader mondial du secteur vise le million de membres : « Les Français ont dix ans d’avance sur les Américains. Ils ont compris que l’infidélité fait partie de la condition humaine. Ils ne vont pas tout de suite demander le divorce. Mais ils sont comme tout le monde : ils ne veulent pas se faire prendre par leur conjoint », analyse le très pragmatique Noel Biderman, persuadé de l' »universalité » du comportement adultère. A ses yeux, une bénédiction pour un business qui se veut « global ».

A écouter les arguments bien rodés des professionnels du secteur, il faudrait presque leur décerner le statut d’entreprises d’utilité publique. « C’est un moyen d’ouvrir une parenthèse lorsqu’il y a une baisse de désir envers ou de la part du conjoint. On peut consolider une union tout en étant infidèle. 68 % de nos membres voient l’infidélité comme l’un des secrets de longévité de leur couple », assure Anne-Sophie Duthion, chargée de la communication de Gleeden. L’argumentation ne convainc qu’à moitié le sociologue Jean-Claude Kaufman, grand observateur des alcôves et auteur d’une enquête sur les rencontres amoureuses en ligne (Sex@mour, Armand Colin, 2010) : « Il y a une part de vérité, mais seulement une petite part. Une infidélité ponctuelle peut ne pas fragiliser un couple, et même le renforcer. Mais seulement si le couple fonctionne bien et que la crise était vraiment passagère. Dans les cas où ça va moins bien, c’est au contraire le risque d’addiction qui est le plus important. On essaie une fois juste pour voir, et puis on recommence. La sexualité n’est pas et ne pourra jamais être un loisir comme les autres, elle bouleverse les sentiments. »

Sur la foi des quatre utilisateurs approchés pour cette enquête, l’indice de satisfaction de l’aimable clientèle se situe à un niveau honorable. Les deux hommes et deux femmes interviewés (trois « Gleeden » et un « AshleyMadison ») apprécient tout particulièrement les bases claires sur lesquelles s’établissent les relations, à l’inverse des sites de rencontres « classiques » (du genre Meetic), où les motivations sont souvent plus ambiguës. Virginie mentionne toutefois deux expériences déplaisantes avec des hommes trop pressés d’exhiber leur masculinité (« pas le profil que je voulais voir »). Quant à Étienne, il a eu la mauvaise surprise d’échanger des messages coquins avec… un mari jaloux. Celui-ci avait piraté le compte de son épouse grâce à l’aide d’un ami informaticien. Les sites assurent toutefois que la sécurisation des données est maximale. Les nouveaux membres sont d’ailleurs briefés pour éviter de se faire démasquer.

« L’ADULTÈRE POUR TOUS » ET À PORTÉE DE CLIC

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Flairant la bonne affaire, certains détectives privés commencent à s’intéresser aux filatures sur la Toile. Dans le sud-est de la France, l’agence Fidelity Testing vient même de lancer un service présenté comme le « premier site de contrôle de moralité » totalement voué à cette traque des conjoints infidèles sur les réseaux de rencontres. La « brigade des cocus » s’adapte à l’air du temps : « On se rend disponible pour les nouveaux segments de marché qui apparaissent », déclare « Franck » (ce n’est pas son vrai nom), cofondateur de l’agence. « Notre chiffre d’affaires augmente d’année en année grâce à ces fréquentations sur Internet. C’est la suite logique des événements : nous tirons parti des nouvelles technologies. » En postant des « agents provocateurs », qui créeront des profils féminins et masculins sur ces sites, Franck affirme qu’il n’y a « rien de très compliqué » à démasquer un conjoint infidèle caché derrière un pseudo. Reste à voir si cette réponse du berger à la bergère est un marché d’avenir. Les sites visés assurent que ce « flicage » (dixit Gleeden) n’a aucune chance de briser leurs barrières de protection.

Pour aller jusqu’au bout de leurs désirs, les couples illégitimes doivent trouver un nid pour abriter leurs ébats. D’où le concept en vogue du « day-use » : la réservation d’une chambre d’hôtel pour quelques heures durant la journée. Avantage pour le client : il obtient une réduction de 30 à 70 % du prix. Bénéfice pour l’hôtelier : il remplit des chambres généralement vides jusqu’en début de soirée. Sur les trente-sept chambres du Vice Versa, dans le 15e arrondissement de Paris, quatre sont disponibles pour le créneau 10 heures-14 h 30 à des prix compris entre 89 et 129 euros. « Si on n’en propose pas plus, c’est uniquement pour des raisons d’organisation et de ménage. Il y a toujours eu la possibilité de réserver dans la journée mais auparavant les hôtels ne le disaient pas trop : ça faisait mauvais genre », rappelle Delphine Djuel, directrice de ce 4-étoiles, dont le design invite à la romance, voire à la luxure, puisque la décoration de chaque étage correspond à l’un des sept péchés capitaux. L’oeil exercé, la maîtresse des lieux estime que les deux tiers des clients de jour sont des infidèles : « Souvent, l’un arrive après l’autre. Ils sont pressés. On sent bien qu’ils n’ont pas envie de rester trop visibles en bas. »

Tout est d’ailleurs conçu pour que le passage à la réception soit météorique. La réservation se fait sur dayuse-hotels.com, un site spécialisé proposant une sélection de 400 hôtels en journée, dont la moitié en France. Le « booking » a été imaginé pour qu’aucun indice, notamment sur les relevés de compte, ne mette la puce à l’oreille du conjoint trompé. Venu de l’hôtellerie, le Français David Lebée a eu l’intuition de ce créneau très particulier à force d’avoir au bout du fil des clients embarrassés lorsqu’ils devaient réserver et négocier le prix de la chambre pour quelques heures. Lancé fin 2010, le site gère aujourd’hui un volume de 30 000 à 40 000 réservations à l’année, avec l’accent mis sur les hôtels de petite taille. Créée avec une mise de départ de 4 000 euros, l’affaire pèserait désormais mille fois plus selon son fondateur. Dayuse-hotels.com n’a pas le monopole des réservations de chambres en journée. Son concurrent hotelsdejour.com a également fait du batifolage extraconjugal un argument de vente. D’autres sites, comme roomforday.com ou beetween9and5.com, se montrent plus discrets sur la question.

Fort logiquement, David Lebée a noué des partenariats commerciaux avec les sites de rencontres extraconjugales. En revanche, il refuse catégoriquement de s’acoquiner avec les sociétés de fabrication d’alibis qui produisent de fausses preuves pour « couvrir » les rendez-vous illégitimes (convocations à des séminaires imaginaires, prétendus voyages professionnels, week-ends thalasso inventés de toutes pièces…). Un rien emphatique, le jeune entrepreneur déclare simplement « vouloir procurer du bonheur aux gens ». Mais même à prix réduit, le « day-use » classique (pour des hôtels de standing) s’adresse à une clientèle relativement aisée. La formule doit être accessible à « toutes les bourses », argumente David Lebée, sans réaliser le caractère cocasse du propos. Il a donc monté, en 2011, une autre société, proposant du « day-use pas cher », pour des hôtels de 1, 2, voire 3-étoiles. Une façon de promouvoir l' »adultère pour tous » !

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(1) Les noms des utilisateurs des sites de rencontres ont été changés.

Source : Christian Roudaut – http://www.lemonde.fr/vous/article/2013/03/15/l-adultere-fait-leur-affaire_1848303_3238.html#bGyB298WfxKtMrwB.99

Written by Le Parisien Heureux
Amoureux de Paris et du Web, je me suis lancé en 2013 dans la création de ce blog pour partager mes coups de cœur, de gueules, de folies et bien plus encore… Ah oui petits détails, je crois parfois que ma vie est une série dont je suis le héros et que les Pokémon existent vraiment sur une île japonaise secrète...